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30 novembre 2008

- Sahara -


Fragile ancrage humain dans un espace désertique difficile et dangereux, la tente s'oppose au monde qui l'environne, lourd de dangers matériels mais aussi et surtout surnaturels : aux portes de la tente commence le monde des esprits, des djinns, "ceux du vide" en dialecte arabe saharien, les kel essuf des Touaregs. Ce monde est aussi celui des hommes condamnés à l'affronter au risque de folie ou de mort, dont le seul refuge stable est la tente de la mère puis de l'épouse. Lieu d'asile à l'instar de nos cathédrales : qui saisit le piquet de la tente bénéficie de la protection de celui qui l'habite, quels que soient les torts qu'il ait pu commettre. Incorporé au monde féminin, il relève des valeurs sacrées (harîm) que partage l'espace inaliénable (maharîm) de la tente et de son environnement immédiat.

Le monde de la tente et celui du vide, de l'essuf, ne sont pas cependant imperméables. Les attaques du surnaturel sont toujours possibles, redoutées en particulier par l'arrière de la tente, espace intermédiaire où sont rejetés les déchets et qui n'est pas parcouru aussi intensément. De là peuvent surgir les djinns qui sont particulièrement dangereux pour la femme, et pour son enfant, durant la période liminaire de quarante jours, qui suit la naissance. Bardée d'amulettes, munie d'un miroir et d'un couteau qui éloignent les esprits, l'accouchée quitte alors l'espace féminin de la tente pour s'installer dans la partie masculine afin de tromper les êtres malfaisants qui la menacent.

Immobile dans l'espace immuable de cette tente déplacée de lieux en lieux, immobilité hiératisée du fait de l'engraissement qui lui est imposé au seuil de l'adolescence, avant qu'elle n'entre dans sa propre tente, la femme saharienne nomade incarne ainsi la permanence culturelle, un principe d'ordre social et de protection que les Berbères touaregs ont inscrit dans leur système social matrilinéaire. L'islamisation de ces populations sahariennes et l'arabisation d'une partie d'entre elles n'ont pas effacé ces valeurs millénaires qui font leur mystère et leur singularité.

Pierre Bonte, anthropologue, est directeur de recherche au CNRS, Laboratoire d'anthropologie sociale, Paris.


http://transsahara.blogspot.com

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