La bibliothèque ambulante
© Photo RMN - J.G. Berizzi
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Contexte historique : L’expérience pilote de Vic-sur-Aisne, une commune dévastée par la Grande Guerre
Auteur : Claire MAINGON
" Le réseau des bibliothèques populaires s’est développé dans la première moitié du XIXe
siècle sous l’impusion de Gustave Rouland, ministre de l’Instruction
publique et des cultes sous l’Empire. La pérennité de ces
bibilothèques, soutenues par les philanthropes, est considérablement
mis à mal par les destructions de la Grande Guerre comme en témoigne
cette photographie prise dans le département de l’Aisne, classé en zone
rouge. A partir de 1919 une reconstruction du réseau culturel se
développe. Grace au Comité américain pour les régions dévastées (CARD),
créé en 1916, les villes et villages de l’Aisne – notamment Soissons,
Coucy et Blérancourt – purent se doter de nouvelles bibliothèques. La
commune de Vic-sur-Aisne doit au CARD la création de sa première salle
de lecture enfantine en 1919.
La bibliothèque, quant à elle, fut
ouverte en 1920. Gérée par l’entreprise de secours, elle ne devint
municipale qu’en 1924, au même titre que les autres bibliothèques
ouvertes dans le département. Ces bibliothèques servaient de centres
pour une desserte itinérante des cantons éloignés. Grâce à un fourgon,
qui transportait une sélection d’ouvrages, soixante-quinze villages
purent bénéficier de prêts de livres.
Cette pratique itinérante révolutionna l’accès à la culture, parfois mal diffusée dans les régions rurales à cette époque. Néanmoins, au lendemain de la Grande Guerre, ces expériences pilotes de bibliobus n’ont concerné que des zones très restreintes du territoire français et demeurent des tentatives expérimentales."
Analyse de l'image: L’écolier modèle et la bibliothécaire
Cette photographie prise dans la commune de Vic-sur-Aisne après la Grande Guerre montre un jeune écolier venant chercher ou rapporter un livre dans le fourgon de passage. A ses cotés, une femme regarde avec lui le choix d’ouvrages entreposé dans le véhicule. Ce cliché, réaliste, n’est pas une mise en scène mais un témoignage de l’expérience pilote qui fut menée dans l’Aisne après la Grande Guerre : celui du bibliobus. L’environnement est pleinement rural. La grande route et les habitations visibles au loin tiennent plus de la ferme que de l’immeuble citadin. S’il ne semble plus subsister de traces évidentes de la guerre sur ce cliché, ce paysage n’en demeure pas moins fantomatique et passablement triste. Terre de douleur, l’Aisne a été largement ravagée par les batailles de la Marne. L’enfant choisit son livre, avec le conseil ou la surveillance de l’adulte. Il bénéficie donc du libre accès, une pratique importée d’Amérique tout à fait nouvelle en France à cette époque. L’habillement du petit garçon est caractéristique de la tenue de l’écolier dans les années de l’entre-deux-guerres, à l’heure où les écoles n’étaient pas encore mixtes (elles ne le devinrent, pour la plupart, que dans les années 1960).
L’enseignement avait alors une vocation davantage morale et civique. Il répondait aux critères des lois Jules Ferry sous de la Troisième République, qui rendirent l’instruction primaire gratuite, laïque et obligatoire (1881 et 1882).
Interprétation
Le livre en campagne : répandre la culture dans le monde rural
En dépit du lent exode vers les villes, la majorité de la population française fut encore rurale jusque dans les années 1930. Les imprimés – journaux, mais surtout les livres – y étaient moins bien diffusés que dans les milieux urbains. Néanmoins, depuis la fin du XIXe siècle, et la promulgation des lois Ferry sur l’instruction primaire, la multiplication des écoles de campagne et de la lecture s’étaient intensifiées. Après la Grande Guerre, qui a fait de nombreuses pertes dans le monde agricole, la scolarisation des jeunes enfants en milieu rural fut au cœur de l’enjeu de reconstruction culturelle national. Le livre tenait naturellement une place essentielle dans ce programme d’instruction civique lancé depuis les années 1880, qui avait pour mission de former des citoyens dotés d’une forte conscience nationale et républicaine. La plupart du temps, dans les régions dévastées par la guerre, les écoles furent réaménagées dans les mairies, pour des raisons pratiques et économiques. Dans ces écoles, les besoins en livre étaient évidents.
Le choix était souvent fait par l’instituteur, qui déposait quelques livres dans le fond de la classe. Mais les jeunes élèves pouvaient aussi avoir accès au livre dans les nouvelles bibliothèques, telles que celle de Vic-sur-Aisne, ou par le biais des rares bibliothèques ambulantes. Ce signe évident de la démocratisation du livre et de la culture pour tous préfigure les directives prises sur l’éducation dans les années du Front Populaire.